Double matérialité : tout comprendre à ce principe phare de la CSRD

investisseur
Par Stéphanie Biron
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le 8 mars 2024
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Si vous vous intéressez de près ou de loin à la transition durable des entreprises et aux critères ESG, il y a de fortes chances que vous ayez entendu parler du concept de “double matérialité”. Pilier de la nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), il introduit en effet une vision profondément novatrice du reporting extra-financier. Une vision qui va jusqu’à faire débat…

Alors qu’est-ce que la double matérialité ? Pourquoi représente-t-elle un changement de paradigme ? Et comment s’applique-t-elle aux entreprises dans le cadre de la CSRD ? Nous faisons le point dans cet article !

La double matérialité, de quoi s’agit-t-il ?

Définition de la double matérialité

La double matérialité est un concept qui souligne la nécessité pour les entreprises d’évaluer à la fois :

  • Comment les changements environnementaux et sociaux peuvent affecter leur performance business, c’est ce qu’on appelle la “matérialité financière”.
  • Comment leurs activités influencent l’environnement et la société, ce qui correspond à la “matérialité d’impact”.

Il faut bien comprendre que ces concepts de matérialité d’impact et de matérialité financière recouvrent à la fois des risques et des opportunités pour l’entreprise. Et qu’ils s’évaluent aussi bien à court, moyen et long terme.

Prenons quelques exemples concrets :

Exemple 1 : en adoptant des technologies vertes, une entreprise peut non seulement réduire ses émissions de gaz à effet de serre, et contribuer ainsi à la lutte contre le changement climatique (matérialité d’impact), mais aussi réduire ses coûts énergétiques et améliorer son efficacité opérationnelle, tout en renforçant son image de marque en tant qu’entreprise soucieuse de l’environnement, attirant ainsi de nouveaux clients et investisseurs (matérialité financière).

Exemple 2 : en entretenant des relations avec des fournisseurs dont les usines emploient des travailleurs dans des conditions misérables, une entreprise risque d’encourager des conséquences négatives pour la société, telles que des atteintes aux droits de l’homme ou des conflits sociaux (matérialité d’impact), mais s’expose aussi à des retombées financières négatives, liées à des boycotts de consommateurs ou des amendes en cas d’infraction réglementaire (matérialité financière).

Un changement de paradigme en matière de reporting extra-financier

Jusqu’à présent, le principe de “simple matérialité” était la norme : seule la matérialité financière était retenue, et les reportings se concentraient donc uniquement sur les informations susceptibles d’avoir un impact sur les performances financières de l’entreprise.

schéma double matérialité

Source : London School of Economics

La double matérialité marque donc une rupture dans la manière dont les entreprises appréhendent leur reporting.

Elle met en lumière l’interdépendance entre les performances économiques, environnementales et sociales, et encourage une approche holistique de la responsabilité d’entreprise.

C’est ce qui en fait un véritable tournant !

Comment la double matérialité s’inscrit-elle dans la CSRD ?

Double matérialité : de la NFRD à la CSRD

La double matérialité n’est pas un concept totalement nouveau : en réalité, il a été introduit par la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive), adoptée en 2014 et entrée en vigueur en 2017. C’est dans un Supplément relatif aux informations liées au climat, publié en juin 2019, que l’idée de demander aux entreprises de divulguer des informations sur la façon dont elles gèrent les enjeux sociaux et environnementaux fait son apparition. Mais le terme de « double matérialité » n’est, à ce moment-là, pas utilisé directement dans le texte.

Ce n’est que quelques années plus tard, avec l’adoption de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) par la Commission Européenne en 2022, que la notion est véritablement formalisée, et propulsée sur le devant de la scène.

La double matérialité dans le texte de la CSRD

La double matérialité constitue le socle de la CSRD, et son cadre réglementaire est défini dans les textes qui introduisent les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards), en particulier l’ESRS 1, dédié aux principes généraux (“General Requirements”).

Le texte de référence aujourd’hui ? C’est le chapitre 3 de l’annexe 1 de l’acte délégué, ESRS 1. Il définit précisément les notions de matérialité financière et de matérialité d’impact, et explique comment la double matérialité permet de déterminer si l’information sur une question de durabilité doit être incluse ou non dans le rapport de durabilité d’une entreprise.

La règle est simple : l’information doit être incluse à partir du moment ou elle est importante :

  • Soit du point de vue de l’impact,
  • Soit du point de vue financier,
  • Soit des deux.

Les débats autour de la double matérialité dans le cadre de la CSRD

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à l’échelle internationale, le principe de double matérialité ne fait pas l’unanimité ! Deux visions s’affrontent en effet :

  • Celle de l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), l’organisme européen qui est derrière la CSRD, et qui est donc le principal partisan de cette approche.
  • Celle de l’ISSB (International Sustainability Standards Board), l’organisme anglo-saxon créé par l’IFRS (International Financial Reporting Standards), qui défend une approche purement comptable et rejette fervemment la double matérialité.

L’ISSB défend en effet la simple matérialité et critique la prise en compte des impacts environnementaux et sociaux de l’entreprise. Il juge que les normes ESRS développées par l’EFRAG, sont trop complexes et inapplicables.

Pour aller plus loin et comprendre tous les arguments des deux camps, vous pouvez lire :

La réponse de 38 experts et responsables économiques défendant la notion de double matérialité, dans les colonnes de l’Agefi : La matérialité n’est pas une simple question comptable : elle détermine l’avenir pour nos enfants.

Reporting extra-financier : comment mettre en œuvre le principe de double matérialité en entreprise ?

L’analyse de double matérialité

Dans le cadre de la CSRD, les entreprises doivent mener une analyse de double matérialité, parfois également appelée “évaluation de l’importance relative”. L’EFRAG a d’ailleurs partagé en août 2023 un guide concret pour aider les entreprises à mener cette analyse.

Pour résumer, elles doivent suivre un processus structuré, qui passe notamment par les étapes suivantes :

  • Cartographie de la chaîne de valeur
  • Cartographie des parties prenantes
  • Identification des zones d’impact potentiels
  • Mesure de la gravité de l’impact avec une cotation
  • Consolidation des résultats

Bon à savoir : la forme que prend l’analyse de double matérialité n’est pas imposée. Beaucoup d’entreprises font toutefois le choix d’illustrer leurs résultats par une “matrice de double matérialité”. À quoi correspond cet outil ? C’est ce qu’on va voir tout de suite.

La matrice de double matérialité, représentation visuelle de l’analyse de double matérialité

La matrice de double matérialité permet aux entreprises de cartographier et d’analyser l’interaction entre leur matérialité d’impact et leur matérialité financière.

Elle se construit de la manière suivante :

  • L’axe horizontal représente l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société, allant de faible à élevé.
  • L’axe vertical illustre l’impact des enjeux environnementaux et sociaux sur la performance financière de l’entreprise, également de faible à élevé.

Modèle de matrice de double matérialité :

matrice double materialité

En plaçant différents aspects de leurs opérations et stratégies dans cette matrice, les entreprises peuvent identifier clairement où se situent leurs plus grands avantages compétitifs et leurs plus grandes vulnérabilités en matière de transition durable.

Matrice de double matérialité : l’exemple de Sanofi

matrice double matérialité sanofi
source : Sanofi

Comment interpréter une matrice de double matérialité ? Un point placé en haut à droite, par exemple, indique une activité ayant un impact environnemental ou social élevé, et un impact financier élevé. Cela signifie que l’entreprise doit y accorder une attention particulière, soit en cherchant des moyens de minimiser les impacts négatifs, soit en exploitant des opportunités positives pour améliorer à la fois sa responsabilité sociétale et sa rentabilité.

La double matérialité : un défi technique pour les entreprises ?

La double matérialité est une étape cruciale vers une intégration réussie de la durabilité au cœur des activités économiques, mais elle représente également un défi de taille pour les entreprises. Elle exige en effet une compréhension approfondie de la chaîne de valeur, et une interprétation rigoureuse des données ESG.

Cette analyse requiert l’adoption d’outils analytiques sophistiqués comme Auxo Dynamics, capables de se connecter en toute sécurité aux systèmes d’information de l’entreprise, de collecter les données pertinentes, et de fournir des rapports détaillés pour sélectionner les bons critères.

Mais plus qu’une contrainte réglementaire, l’analyse de double matérialité est une occasion en or pour les entreprises d’appréhender l’ensemble des risques et des opportunités ESG auxquels elles font face, et de se dégager ainsi une feuille de route concrète pour piloter leur transformation durable. C’est donc un exercice stratégique de création de valeur !

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